Se moquer d'un pauvre type à cause de ses choses ? À peine si j'oserais tellement c'est bas. Par bonheur il n'en a pas.
L’édifiante
histoire de Queunulle
Il était une
fois un pauvre garçon, très malheureux car Dieu dans Sa grande injustice lui avait donné
une queue nulle. Oui, une queue nulle, une queue nouille, enfin un tout petit
machin qui pendouillait tristement.
D'ailleurs, sans parler même de cet appendice malencontreux, il avait lui-même un
peu l’aspect d’une quenelle toute flasque, et n’avait
par conséquent jamais l’occasion de se servir de cette petite queue, nulle
part. Du coup, si j’ose dire, elle restait cachée.
Hélas, un jour
qu’il se baignait dans un marigot nu comme un asticot, un Juif
survint. Certes ce n’était guère charitable, mais enfin devant ce spectacle que vouliez-vous qu’Élie fît ? Il n’hésita point et appela les
copains, évidemment. Et le misérable fut dès lors affublé du sobriquet de
Queunulle.
Alors son
aigreur ne connut plus de loi, et l'acidité qui lui rongeait déjà les
entrailles – estomac, foie, intestins – provoquant d’ailleurs des flatulences peu
propices à améliorer ses rapports avec le genre humain, finit à force de renvois par
atteindre le cerveau.
Il se mit à
éructer à n’en plus finir, ce qui était normal vu l’état de ses abats, et
surtout il se mit à éructer contre les Juifs, ce qui tout compte fait était
assez normal aussi : le premier responsable du surnom abhorré n’était-il
pas son ex-copain Élie ? Élie
qu’il jalousait depuis toujours car beaucoup moins con que lui – malgré ce que notre irremplaçable Bobby Lapointe a pu raconter sur les Élie cons.
De plus, Celui
qui l’avait en premier lieu affligé de cette queue, c’était Dieu, tout de même.
Or, comme chacun sait depuis toujours, Dieu est partout. Et comme chacun sait
depuis Brasillach, les Juifs aussi sont partout, ces gens-là ; donc, Dieu est
juif. Et si ce fallacieux
syllogisme ne convainc pas, cette démonstration, elle, est imparable
: juif ça s’attrape par la mère, Jésus était juif donc Marie aussi, et personne
n’irait imaginer qu’une juive pratiquante se ferait mettre en cloque par un
goy, Dieu ou pas.
Mais revenons
à notre chapon, à nos moutons veux-je dire, Queunulle, donc, éructait, et
allait très mal. Il faut savoir que le malheureux, comme si le reste ne
suffisait pas, souffrait aussi d’un dédoublement de la personnalité.
Partagé,
complètement déchiré même, entre son désir de se faire passer pour une victime
mais ne sachant pas bien victime de quoi alors que les Juifs – encore eux – n’ont
que l’embarras du choix, et un bizarre besoin d'avoir une plus grosse voiture, une plus grosse maison, tout plus gros que les autres, il aurait
voulu consulter, se faire soigner, psychothérapiser, psychanalyser mais là encore
les Juifs le poursuivaient : tous les psychiatres sont juifs depuis Freud,
et puis franchement risquer de s’entendre dire « tout est sexe »... ça vexe quand
le tout en question se rapporte à si peu de chose.
Mais un jour
enfin, et grâce à ses problèmes intestinaux, il entrevit la lumière. En visite
chez un compère aussi sot que rat, lequel en conséquence remplaçait le papier – doux
mais pas gratuit – par n’importe quel papier imprimé ou non, il s’ennuyait ferme
enfermé constipé dans les cabinets, et comme ainsi qu’il l’exprimait avec toute l’élégance
dont il était capable la lecture l’avait toujours fait chier, il entreprit
plein d’espoir de déchiffrer des feuillets déchirés dans des livres. Et il lut :
Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire
Queunulle,
quoiqu’il fût persuadé comme tout imbécile qui se respecte d’être très
intelligent, n’avait pas pu ne pas se rendre compte que personne parmi ceux
qu’il enviait secrètement ne lui rendait justice ; par contre il advenait qu’il fît rire ceux auxquels sa
certitude d’avoir de l’esprit suffisait pour le trouver drôle. Il se mit à
penser, longtemps, très longtemps, à ce que ce Boileau racontait, mais quand il
sortit enfin des lieux d’aisance il était fort aise.
Un sot trouve
toujours un plus sot qui l’admire ?
Alors puisqu’on le prenait pour un imbécile, il allait leur montrer, à tous ces
intellectuels, qu’il n’en était pas la queue, ou plutôt la moitié d’un.
Et il se mit à
être de plus en plus bête, de plus en plus méchant, de plus en plus ridicule, de
plus en plus antisémite, et ça marchait. Tous les braves cons sûrs de lutter
contre le système honni lui offraient leur obole et l’enrichissaient, tous les
crétins heureux de se reconnaître dans un crétin en chef – les crétins ont toujours
aimé les chefs – l’applaudissaient, tous les jaloux, les frustrés, les bons à
rien le suivaient et l’imitaient, ravis d’avoir enfin un ennemi identifiable sur
qui taper.
Ils singeaient des gestes dont personne et surtout pas
ceux qui les singeaient ne savait trop ce qu’ils signifiaient, sinon que c’était
contre.
Contre quoi ? les Juifs. Ce qui compte – comme
disait un autre taré, mais celui-là était peintre – c’est d’être contre les
Juifs. N’importe quel abruti comprend tout de suite que si la
dernière fois on en a tué six
millions, ils ne pouvaient pas être complètement innocents, on ne tue pas six
millions de gens comme ça pour rien. D'ailleurs il ne faut rien exagérer : d'après le sot rat, encore lui, peut-être y en
avait-il tout au plus quelques dizaines.
Ainsi,
Queunulle devint riche et célèbre. Il en aurait presque oublié le tout petit détail qui
l’avait tant chagriné, et quand il manquait d’inspiration pour aboyer et baver de
haine devant ses admirateurs, il se répétait fort content de lui « un chef, une quenelle, du pognon ! »
Et s'imaginant dans ses rêves les plus fous investir son argent
tout neuf dans des wagons et libérer par le travail des millions d’êtres
humains, il repartait de plus laid.
Mais les
meilleures choses ont une fin, et heureusement, les plus mauvaises aussi.
À force
d’encourager les crétins à détester les Juifs, à taper sur les Juifs, à démolir
les Juifs, Queunulle leur avait montré combien il est bon de haïr son prochain si
le prochain n’est pas tout à fait son pareil ;
il arriva ce qui devait arriver, les crétins blancs et les crétins noirs ou
moins blancs que blanc s’avisèrent un beau soir au cours d’une grand-messe de
Queunulle qu’il ne restait pas beaucoup de Juifs sur qui cogner, et qui plus
est absolument aucun dans cette assemblée de crétins; mais qu’ils avaient sous
la main, immédiatement, des prochains assez peu pareils et donc de quoi se
divertir.
Au cours de
l’étripage qui s’ensuivit, Queunulle qui était encore plus cupide que stupide
voulut s’interposer pour ne pas laisser piétiner une affaire aussi florissante
et ce fut lui qu’on piétina.
Écrasé sur le
sol dans son costume beige, il faisait irrésistiblement penser à une quenelle
sauce nantua, dans laquelle on aurait un peu forcé sur le concentré de tomate.